L'entraînement matinal touchait à sa fin. Voilà plusieurs jours que Kyriane était revenu au sein de la Force Lunaire et déjà, son corps avait retrouvé les courbes d'antan. Ses muscles se raffermissaient de jour en jour et les réflexes acquis par maintes passes d'arme revenaient en flèche. Il avait toujours affectionné les épées mais il n'avait jamais touché ces armes perfectionnées que des vétérans faisaient tournoyer dans un crépitement d'étincelles. Il se demandait souvent comment il appréhendrait la différence d'équilibre enre une lame conventionnelle et ces simulacres beaucoup plus impitoyables. Il avait le temps. On ne lui en confierait une que lorsqu'il aurait prouvé qu'il avait retrouvé une utilité sur le terrain. Il était à peine cinq heures du matin, quand résonna dans l'air la sonnerie caractéristique de son CoM-Link, lui annonçant qu'il avait un message. Kyriane avait à nouveau réussi à se faire à ces outils qu'il avait laissé quand il était reparti sur la Lune. Les temps changeaient beaucoup plus vite quend on n'y prêtait pas attention et lui avait pris soin de ne pas s'y attarder outre mesure.
Se saisissant du fourreau qui accompagnait l'épée que lui avait remis l'intendance en place en Egypte, il glissa soigneusement la lame dedans, jusqu'au claquement sec de la garde sur le haut de l'étui. Puis Kyriane ramassa la serviette éponge qui l'attendait sur un banc proche et s'essuya le torse. Il ne portait que le bas de son uniforme et c'était déjà trop pour ce pays où il n'existait pas assez de coins d'ombre pour se rafraîchir. Il s'était installé devant les baraquements de la Sainte Nébuleuse et déjà, les premiers bleus commençaient à sortir, sous les regards scrutateurs de leurs responsables qui les cinglaient parfois de quelques phrases bien senties. Kyriane n'était pas bien gros, mais il pouvait en montrer à bien des soldats, en matière de combat. D'un naturel calme, il cachait ses yeux noisette derrière d'inutiles lunettes, et son visage fin était surmonté d'un coupe courte, brossée vers l'avant. Sur son menton, il laissait souvent un bouc de quelques jours qu'il taillait régulièrement. Au fil des minutes, l'animation prenait de l'ampleur et le QG des jeunes pousses de la Force Lunaire semblait reprendre vie après un long sommeil d'environ cinq heures.
Finalement, après un instant d'observation, il consentit à regarder enfin ce qui l'avait tiré de ses pensées. Le CoM-Link continuait à vibrer légèrement et, tandis qu'il le prenait, Kyriane vit que le message provenait de la compagnie des Psychotic Killers. Cela faisait à peine quelques heures qu'il les avait contacté; au moins ils ne perdaient pas de temps. Le jour pointait son nez, quand il enfila enfin son tee-shirt et se dirigea vers ses propres quartiers. C'était ceux où les jeunes sans-compagnie-fixe étaient mis. Un peu en retrait des autres QG, ils étaient sobres et dépourvus de tout signe distinctif. La pseudo-compagnie avait bien un sigle, mais celui-ci était tombé en désuétude et les mercenaires s'étaient égaillés de toute part sans coordinateur précis. C'était un peu pour cela que l'ex-Ange Déchu avait fait appel aux PsyK. Il n'était guère aussi armé que l'ensemble des membres, mais c'était la seule compagnie qui avait attiré son intérêt. Il y avait Janus, ce ne pouvait donc qu'être un bon choix, car déjà à l'époque il avait respecté son ancien archange pour ses points de vue. Cela faisait déjà deux ans...
Le temps de prendre une douche et de s'apprêter, les différentes manoeuvres d'entraînement commençaient dans tout le campement et Kyriane se dirigea alors vers le lieu de rendez-vous fixé par un certain Lilian. Il ne faisait pas parti des soldats de la compagnie dont il avait entendu l'écho, mais si c'était lui son interlocuteur, il s'y plierait. Tous les mess des officiers avaient un bar et celui du QG en Egypte ne faisait guère exception à la règle. Celui-ci était sans prétention, contrairement à celui des campagnes russe ou australienne. A cette heure incongrue, il n'y avait personne, à l'exception d'un homme assez jeune qui attendait, un café fumant sur le comptoir.
- Bonjour... Lieutenant.
Après un salut militaire, l'homme qui devait être le fameux Lilian l'invita à prendre un tabouret et à s'installer. Le barman, un ancien combattant au vu des cocatrices qui lui couturaient le visage de toute part, sorti de nulle part et, alors qu'il lui demandait ce qu'il voulait prendre, commença à faire un autre café avant même que Kyriane se décide. Cuillère et sucre en prime, la tasse trouva sa place aux côtés de sa soeurette.
- Il paraît que vous voulez faire parti de notre compagnie. Savez-vous que nous ne sommes tous que des combattants d'élite? Nous nous sommes un peu renseigné sur vous et il me semblerait que vous soyiez rouillé. Vous avez quand même trente-six ans et vous avez quitté la guerre depuis deux ans déjà.
- Je sais bien que je ne suis plus dans les bonnes grâce de notre armée...
- Je n'ai pas fini. Vous avez été soldat impérial, puis vous êtes à nouveau parti. Vous me semblez inconstant, comme personnage.
Il était paradoxal qu'un homme beaucoup plus jeune lui fasse la morale. Mais il était pourtant en mesure de lui faire des reproches, lui qui avait sur ses épaules un garde qu'il n'avait désormais plus. Kyriane accepta ces paroles, mais ne voulait pas perdre la face.Il but une gorgée de son café et manqua se brûler la trachée.
- Il me semble que les Psychotic Killers étaient à l'Alliance, il y a quelques temps. Je n'ai pas été le seul à transfuger.
- Je ne suis dans la compagnie que depuis peu. Mais notre colonel devait avoir ses raisons.
- Et j'avais les miennes. Nous sommes quittes.
- Soit. Vous êtes prêt?
- Prêt? A quoi?
- A rencontrer ma mère.
Une fragrance vint envahir le bar. Malgré tout son savoir, Kyriane ne parvenait pas à en déterminer les essences qui la composaient. Un bruit de pas le fit se retourner. Une femme à la beauté froide lui faisait face. Elle semblait le détailler des pieds à la tête, presque comme s'il était insignifiant. Elle avait une aura naturelle et, malgré le fait qu'elle soit plus petite que lui, elle lui imposait son silence. Puis l'atmosphère changea radicalement et le visage de la femme s'adouçit.
- Je suis le lieutenant-colonel Shaiya. Ainsi, c'est vous qui voulez venir chez les PsyKs?
Kyriane fit le salut rituel et invita Shaiya à prendre place. Elle déclina sobrement l'offre.
- Je dois m'en aller. Je voulais juste voir qui était assez fou pour postuler chez nous. Pourquoi croyez-vous qu'on va vous accepter?
- Je ne crois rien. Vous étiez la seule compagnie digne d'intérêt dans la FL et j'ai envoyé une demande à tout hasard.
- J'ai perdu assez de temps, caporal...
- Kyriane Feals.
- Caporal Feals... Lilian, tu vas rejoindre les autres.
Saluant Kyriane d'un signe de tête, puis passant derrière sa mère pour sortir, le jeune homme quitta le bar. Puis ce fut à son tour de faire mine de partir.
- Attendez!
Shaiya s'immobilisa et, se retournant vers lui, elle scruta son regard, comme pour tester sa motivation.
- Si vous n'avez rien de plus à me dire, je dois vous laisser.
- Nous sommes partis d'un mauvais pied, Lieutenant. Je souhaite sincèrement rejoindre les PsyKs.
- Grand bien me fasse! Nous avons dix demandes par jour, comme la votre.
- Dix demandes, j'en conviens. Comme la mienne, je ne pense pas. Je peux vous apporter beaucoup. Peut-être pas à court terme, mais la guerre est longue et les batailles nombreuses. Pensez-y.
- Je n'ai pas d'ordres à recevoir de votre part. Je vous donnerais sans doute une réponse rapide. En attendant, je vous salue.
Shaiya quitta le bar aussi rapidement qu'elle y était apparu, comme un fantôme. Il avait connu peu de femmes aussi étrangères à tout ce qui l'entourait. Kyriane souffla, puis se réinstalla confortablement pour finir son café. Le plus dur était passé, il ne restait qu'à être patient. Et il l'était...